Interview
Toni Brunner : la vie entre son carré de terre et le Parlement
Le jeune président de l’UDC, partage son temps entre sa fonction
de conseiller national, de président de parti et sa vie de
paysan de montagne dans le Toggenburg. Profondément attaché à
ses racines et inquiet pour l’avenir du pays Toni Brunner porte
un regard sans complaisance sur l’évolution de notre société.
Il est un peu moins de 6h. Ce matin, un voile de brume enveloppe
les collines du hameau de Bendel. Quelques nuages s’accrochent
aux arbres et le tintement des clochettes nous signale la
présence d’un troupeau. « Luna », le chien, nous accueille à
l’entrée de l’écurie. Un petit bruit de cornet froissé et voilà
« Nubes », le petit cochon, glouton insatiable et mascotte de la
maisonnée. Des jattes de lait sont alignées près de la porte, «
Bluto » occupe l’espace en se lissant les moustaches. «
J’arrive, j’arrive ! » Toni Brunner nous présente ses treize
vaches, il est l’heure de la traite. L’odeur de paille fraîche
et une douce chaleur nous plongent dans les souvenirs.
N’avons-nous pas tous au coin du cœur une histoire de campagne,
de cloches, de craquement du bois dans l’âtre. Eternelle image
d’une Suisse préservée dans son écrin de verdure.
Depuis des siècles les paysans labourent, ensemencent et
produisent lait et fromage dans notre pays. Face aux marchés
mondialisés, aux logiques industrielles quelle part de
patrimoine le politicien peut-il préserver en évitant la
tentation du repli communautaire ?

Toni Brunner,
Président de l'UDC suisse

Toni Brunner à Genève |


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Entretien avec Dany Schaer
Le Pays Vaudois. Devenir politicien était-ce l’un de vos
rêves ?
Toni Brunner. Je rêvais d’être paysan,
footballeur, écrivain. La politique je la suivais de loin, dans
les journaux. Vers treize ans j’ai commencé à m’intéresser aux
discussions entre paysans. Puis, à l’école d’agriculture nous
avions un professeur qui nous parlait des problèmes liés à
l’agriculture de montagne. Ainsi, je me suis intéressé à la
politique et j’ai cherché un parti qui corresponde à mes
convictions. Comme il n’y en avait pas j’ai participé à la
création de la section de l’UDC Saint-Galloise en 1992. En 1995
j’ai été élu le plus jeune conseiller national à l’âge de 21
ans.
Et depuis vous êtes devenu président de l’UDC Suisse ?
J’ai été élu vice-président du parti en 2000 et
président en 2008. Un parcours rapide que j’assume avec beaucoup
de plaisir bien qu’il s’agisse d’une lourde responsabilité.
Beaucoup de gens associent votre nom à celui de Christoph
Blocher. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Lors de la création de notre section, Christoph Blocher
s’est intéressé à nous. Il n’a fait aucune différence entre
petits paysans, industriels ou grands financiers. Il nous a
appris que nous avions un même idéal à défendre. Lorsque j’étais
jeune président de l’UDC à Saint-Gall, Christoph Blocher était
président de l’UDC Zurich et nous avions des contacts réguliers.
Nous avons développé une amitié et une estime réciproque. A
l’origine, nous sommes tous les deux de petits paysans.
Après décembre 2007 vous êtes resté fidèle à Christoph
Blocher même au risque de vous perdre. Comment avez-vous
traversé ce cataclysme?
Ce fut la période la plus difficile de ma vie. Mais j’ai
vite réalisé que je devais être fort et continuer la route. La
fidélité, la sincérité et la confiance sont des valeurs
essentielles non seulement en politique mais dans la vie en
général. Ma mission était claire et lorsque l’on m’a confié la
présidence de l’UDC Suisse c’est avec le respect de la tâche
confiée que j’ai œuvré pour le renouveau de l’UDC. Après l’orage
vient toujours le beau temps et je crois en l’avenir. Et vous
savez dans la «haute» école des collines du Toggenburg j’ai
appris à improviser et à m’adapter à toutes les situations
(rires).
Vous souhaitez une élection du Conseil fédéral par le
peuple. Quels avantages selon vous ?
Avec le système actuel nous ne sommes plus dans une
logique constructive. Le Parlement joue au chat et à la souris,
manipule et le jeu des influences prime sur les vraies
questions. On ne cherche pas le candidat le mieux adapté à la
situation du pays mais celui qui arrange tout le monde en vue
des élections futures. Une élection par le peuple serait plus
juste, plus honnête.
Même si le peuple ne vote pas UDC ? C’est la
démocratie et nous devons la respecter dans ce cas.
Le Toggenburg est un bijou du patrimoine Suisse. Quel
visage aura Ebnat-Kappel dans 20 ans ?
Avec la politique migratoire actuelle c’est inquiétant.
On est de plus en plus nombreux et notre pays est petit. Je
pense que l’on ne peut pas continuer ainsi sinon dans vingt ans
ce ne sera plus vivable. Et même les endroits les plus préservés
risquent de perdre leur identité.
Votre proposition pour freiner le processus ?
Modifier des lois, appliquer des contrôles sévères des
travailleurs notamment ceux qui sont ici sans permis. Mais je
suis conscient que c’est un réel problème. Derrière les
décisions il y a des hommes et des femmes, une réalité qui
dépasse les chiffres, les statistiques et les discours
politiques.
La criminalité qui augmente et des délits commis souvent
par de très jeunes délinquants. Que propose votre parti ?
Nous devons ajuster nos lois à l’évolution de la société
et les appliquer avec la sévérité requise. La prévention est
essentielle mais nous devons durcir les sanctions pour les actes
graves et expulser les criminels étrangers.
Les paysans sont inquiets. Ils sortent dans la rue,
manifestent. Ont-ils vraiment un avenir dans notre pays?
Le soulèvement paysan de Sempach montre bien que les
choses bougent sur un marché laitier enlisé depuis des mois.
Nous demandons au Conseil fédéral d’abandonner les négociations
avec l’UE sur un accord de libre-échange agricole.
Votre parti demande une session extraordinaire lors de la
session d’hiver du Parlement pour débattre de la question du
prix du lait. Pensez-vous être suivi par d’autres partis ?
C’est une question qui touche toute la population. Nous devons
parler souveraineté alimentaire et donner la priorité à la
production de proximité et fixer des prix équitables qui soient
liés aux coûts de production et de transformation. Reste à
convaincre les autres partis.
Une journée avec Toni Brunner c’est le regard fixé sur
l’agenda ?
J’ouvre les yeux sur les collines du Toggenburg et je
débute la journée avec mes animaux. Puis, vient la vie de
politicien : interview, séminaire avec les Jeunes UDC à la
Maison de la Liberté, séance avec la section locale. En soirée,
petit tour à la maison pour voir mon amie, ma famille et les
animaux avant une dernière séance de comité à 20h et vers 23h je
vais dormir. D’autres jours je suis en session à Berne depuis 7h
et dans ce cas mon père s’occupe des animaux à la ferme.
Des contradictions dans votre double vie?
Je vis entre deux mondes. A Berne, les turbulences liées
à la politique et à Bendel, ma source de vie. Le soir venu, il
faut savoir fermer la porte de la politique pour retrouver la
sérénité. Rire de soi fait partie du processus et cela permet de
relativiser les problèmes. Ecoutez ce merveilleux silence qui
nous entoure! Je ne m’en lasse pas. C’est un instant de paix qui
s’accorde au chant des oiseaux et au bruit du vent dans les
arbres. Demain est un autre jour…
Dany Schaer
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