Martine Ostorero, professeur spécialisée en Histoire
Médiévale à l’Université de Lausanne, était invitée par 3ème
Jeunesse pour parler de la terrible répression de la sorcellerie
en Suisse romande entre le XVe et le XVIIe siècle. La Suisse,
dans ses limites actuelles, détient non seulement la palme de la
plus longue durée de répression de la sorcellerie, mais aussi
celle du plus grand nombre d’individus inculpés pour un tel
crime, en proportion de sa population. La Suisse a brûlé dix
fois plus de sorciers et sorcières que la France et cent fois
plus que l’Italie.
Dans son ouvrage « La chasse aux sorcières dans le Pays de Vaud
» Martine Ostorero parle de cette notion apparue à la fin du
Moyen-Âge : « On commence à croire que les hommes et les femmes
qui recourent à la sorcellerie vont au « sabbat » et rendent
culte au diable. Ils sont dès lors considérés comme des
hérétiques apostats et idolâtres et doivent être durement
réprimés. Dans une société où chacun croit à la réalité de leurs
pouvoirs, la persécution contre ces personnes implique une
importante construction idéologique (le sabbat des sorcières et
les sectes démonolâtres), des modifications des pratiques
juridiques (l’inquisition et la procédure inquisitoire) et de
nouveaux développements théologiques (la démonologie). En
inventant le sabbat des sorcières, l’Occident chrétien se met à
croire que les sorcières volent sur des balais, mangent des
petits enfants et s’acharnent à détruire la société avec l’aide
du diable ».
Bien que la chasse aux sorcières ait des allures d’énigme,
plusieurs facteurs, souvent multiples peuvent favoriser les
crises. La persécution des sorcières est également un enjeu de
pouvoir entre les puissances laïques et ecclésiastiques. En
général, les chasses aux sorcières ne se produisent que lorsque
les autorités, tant politiques que religieuses, sont favorables
à leur déclenchement et disposent du cadre légal et des
instruments judiciaires qui permettent la poursuite du crime. Ce
fut l’ «heureuse» situation que connut le Pays de Vaud dès le
milieu du XVe siècle. Un procès peut s’ouvrir sur de simples
rumeurs et les populations ont rapidement compris comment se
servir de la sorcellerie pour en faire une arme redoutable. La
grêle qui anéantit les récoltes ou une épidémie qui décime le
bétail peuvent faire naître le soupçon du voisin suppôt de Satan
qui cherche à nuire à la communauté. La sorcellerie naît sur un
fond de suspicions villageoises et apparaît comme l’exécutoire
de tensions locales.
La torture en Pays de Vaud. La torture est
largement employée lors des procès en sorcellerie : sur une
trentaine de procès en sorcellerie du XVe siècle, seul un petit
nombre d’inculpés y échappe ; la mise à la question semble être
le chemin le plus direct vers le bûcher. Après une séance de
torture l’inculpé est ramené dans la salle où se déroule le
procès et doit réitérer les aveux produits dans la chambre de
torture ; ces derniers sont alors qualifiés de « spontanés ».
S’il n’avoue pas ou se contredit dans ses réponses, l’accusé
peut être soumis une seconde fois à la question.
Dans la sphère familiale, la diffamation pour sorcellerie révèle
des conflits dont l’issue s’avère dramatique. La répartition de
l’héritage entre les enfants de lits successifs semble être la
trame sur laquelle se développe le procès de Marguerite Diserens
à Dommartin en 1498, qui a eu successivement trois maris dont
les enfants se disputent la succession. «Pour être accusé de
sorcellerie il suffit d’être dans une situation sociale ou
familiale particulière ou d’avoir un comportement légèrement en
marge des normes. Les diffamations touchent plus volontiers des
femmes isolées mais plutôt aisées. Une femme seule ayant du bien
éveille la suspicion. Quant aux hommes visés, ils ont le profil
du gêneur ou du révolté face à l’autorité seigneuriale ou
urbaine, voire même celui du joueur invétéré. La majorité des
inculpés sont des individus âgés de 50 à 60 ans. « L’ennemi » ne
vient pas de l’extérieur, mais de l’intérieur, sous les traits
du voisin ou d’un membre de la famille : c’est aussi cela qui a
fait le tragique « succès » des chasses aux sorcières. On sait
parce qu’aux Archives Cantonales Vaudoises sont déposés
d’importants registres où sont rassemblés les cahiers des procès
tenus entre 1430 et 1540 en Pays de Vaud. J’ai travaillé sur ces
cahiers (manuscrits et en latin), c’est ce qui nous a permis de
comprendre vraiment le processus », ajoute Martine Ostorero.
Sources : "La Chasse aux sorcières dans le Pays de Vaud
(XVe-XVIIe siècles)", Martine Ostorero
Dany Schaer
Mars 2016
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