Ropraz
Jacques Chessex, une nouvelle vie hors du temps
« Devrai-je être mort, mère, pour te retrouver tout entière ? »
Il parlait à cette femme qui lui donna la vie. Le poète
orphelin, éperdu d’amour, dévoré de remords. L’homme d’un
certain âge à la recherche d’une présence de l’autre côté du
miroir dépose les mots de la solitude en offrande à ce Dieu
présent et inaccessible. Poème aux lèvres comme une fleur
blessée, dissident indocile, le seigneur de la littérature
romande s’envole vers la cime des cyprès, là où les étoiles
dessinent la lumière éternelle.
L’écrivain vaudois brise le carcan qui cloisonne les belles
plumes dans un style respectable. Il dénude les femmes, écartèle
les corps, ses mains frôlent seins et sexes. Le romancier expose
les âmes aux vents de la conscience. Les teintes lugubres dans
un crépuscule inoubliable rejoignent l’errante dame au bout du
long voyage.
La mort, bien sûr, nous guette tous en tout instant. Cette
boulimique menace de jour comme de nuit. Jacques Chessex est
parti avec panache entre ses livres et ses lecteurs. Le génie de
Ropraz s’est éteint subitement, vendredi 9 octobre à Yverdon,
lors d’une soirée littéraire. Il avait 75 ans. De
l’interpellation d’un quidam sur l’affaire Roman Polanski on ne
retiendra rien si ce n’est la médiocrité et la lâcheté. Les
hommages sur le Prix Goncourt de 1973 pleuvent et le romancier,
le maître, l’ami, continue d’habiter les esprits et les
discussions dans le pays vaudois.
A Soleure, ses peintures présentent leurs visages énigmatiques.
Rendez-vous entre des saints et des martyrs dont seul l’artiste
connaissait la vraie nature. Dans une sublime parade de rouge et
noir, les personnages de ses toiles posent dans un étonnement
muet sous un angle impressionnant. Une sorte de mystique
imprègne ses tableaux.
Dany Schaer
Le poète a écrit le 10 mars 1978
Oui nos jours sont de l’ombre sur la terre
Il n’y a pas d’espérance ici-bas
Mais nous nous attachons du crâne et des nerfs
Nous nous attachons
Oui nous sommes des hôtes, des damnés
Mais nous chérissons ce séjour
Et pour rien au monde nous ne voulons en changer
Oui nous nous précipitons sur la saleté comme des mouches
Nous nous repaissons
Mais c’est Dieu qui nous a fait cette nature
Nous ne pouvons en changer
Sommes-nous coupables de suivre sa création
Dans tous ses effets ?
Sommes-nous coupables de lui obéir ?
De toute façon nous sommes faits comme des rats
Et nous nous en réjouissons
Louons Dieu dans les hauteurs de l’air
L’os attend sous la tendre chair.
Jacques Chessex |
Paru dans le Journal de Moudon, le 15 octobre 2009

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